vendredi 22 juillet 2011

Les jeunes gens


            « Un mot encore, à l'adresse des jeunes gens. Eux aussi ont fait pour la plupart une triste campagne, à la suite des chefs de file que chacun sait. En vrais jeunes gens, la plupart se sont laissé séduire par le talent du brillant orateur, par l'ardeur du polémiste, par le charme romanesque du poëte subitement transformé en Docteur de l'Église. Dans nos grandes villes surtout, Dieu sait à quels excès de paroles ils se sont laissé emporter! Dieu sait ce qu'ils ont dit contre le Concile et contre le Souverain-Pontife!
           
            Ils ne lisaient que les feuilles libérales, hostiles à une doctrine dont ils ne comprenaient point la portée; et, semblables en cela aux belles théologiennes dont nous parlions tout à l'heure, ils présentaient le plus singulier mélange de foi et d'impiété, de pratiques religieuses et de blasphèmes contre la foi. Ce qui les excusait, c'était leur âge, c'était cette étourderie même dont ils étaient les premières victimes.
           
            Un beau jour, ils s'étaient réveillés gallicans, parce qu'ils avaient eu l'imprudence de s'endormir libéraux. Le libéralisme est, en effet, une erreur, une erreur très-subtile et très-dangereuse, ainsi que le Pape l'a proclamé énergiquement, en répondant naguère à une députation de catholiques français : "Mes chers enfants, leur a-t-il dit, il faut que mes paroles vous disent bien ce que j'ai dans mon coeur. Ce qui afflige votre pays et l'empêche de mériter les bénédictions de Dieu, c'est ce mélange de principes. Je dirai le mot et je ne le tairai pas : ce que je crains, ce ne sont pas tous ces misérables de la Commune de Paris, vrais démons de l'enfer qui se promènent sur la terre. Non, ce n'est pas cela; ce que je crains, c'est cette malheureuse politique, ce libéralisme catholique, qui est le véritable fléau. Je l'ai dit plus de quarante fois; je le répète, à cause de l'amour que je vous porte."
           
            Oui, le libéralisme est le grand danger de notre jeunesse catholique. Tout voilé qu'il est sous les dehors sympathiques de la liberté, il n'en est pas moins une erreur dogmatique très-profonde, intimement liée au gallicanisme. Ce que le gallicanisme avait fait et déclaré en 1682, le libéralisme l'a fait et déclaré en 1789 : l'un proclamait l'indépendance du roi vis-à-vis de l'Église, et, quoique moins clairement, l'indépendance des Évêques vis-à-vis du Pape; l'autre, plus hardi, a proclamé l'indépendance de la société civile vis-à-vis de la société spirituelle, l'indépendance de l'État vis-à-vis de l'Église, de la raison vis-à-vis de la foi, de la science vis-à-vis de la révélation; en un mot, de la nature vis-à-vis de la grâce.
Nos jeunes libéraux, tout catholiques qu'ils étaient par le coeur, étaient donc naturellement de jeunes gallicans; gallicans en herbe, ils étaient libéraux en fleur.
           
            Tout cela, je le répète, ce n'était que de la présomption de jeunesse et de l'inexpérience; mais que nos jeunes chrétiens prennent garde à eux : voici le gallicanisme solennellement condamné comme hérésie; qu'ils s'arrêtent, tandis qu'il en est temps encore, et qu'ils soient catholiques comme on doit l'être, comme Notre-Seigneur veut qu'on le soit. Et comment veut-il qu'on le soit? En tout. Catholique comme le Pape, catholique avec le Pape, catholique autant que le Pape : telle est la règle, aussi simple que féconde.
           
            Oh! que nos jeunes chrétiens doivent veiller avec respect sur le trésor de leur foi! Ils sont l'espérance de l'avenir : s'ils sont fidèles à Jésus-Christ, un brillant avenir est réservé à l'Église. La responsabilité est immense; mais elle est magnifique. »

(Oeuvres de Mgr de Ségur, 1877, tome VI, page 416-418.